Balade à Fougères, en pas et en mots
Autrice : Célia Boucheraux Publié le : 05 mars 2025 Lecture : 8 min
Un petit tour à Fougères par la littérature. Que nous dit la littérature de Fougères ? Comment visiter Fougères par ses traces littéraires ? C’est l’occasion d’une balade littéraire.
Eh bien donc, je viens de Fougères, comme La Fontaine revenait de Baruch, et je demanderais volontiers à chacun : “Avez-vous vu Fougères ?”
Le départ de cette balade littéraire se fait depuis l’imposant château de Fougères. Il s’agit d’un château médiéval à trois enceintes, une des plus grandes forteresses d’Europe dont on peut visiter les 3 hectares et qui permet de découvrir la riche histoire de Fougères, particulièrement liée à son emplacement stratégique entre la Bretagne et la France. Cet emplacement a fait du château un élément stratégique crucial dans le dispositif défensif des Marches de Bretagne (une série de châteaux-forts défensifs marquant la frontière entre la Bretagne et la France mais aussi un lieu important d’échanges et de perméabilité entre les deux cultures).
Côté écrits, c’est à travers un de ses épisodes les plus mémorables que le château est entré en littérature. La bataille de Fougères, épisode marquant du conflit de la chouannerie, une guerre civile entre républicains et royalistes (les chouans) qui se déroula dans une grande partie de l’ouest de la France entre 1792 et 1800. Celle-ci a inspiré tout particulièrement deux écrivains bien connus : Honoré de Balzac et Victor Hugo.
Pour se replonger littérairement dans ce conflit de Fougères, il suffit donc d’ouvrir Quatre-vingt treize de Victor Hugo et Les Chouans de Balzac et de suivre les traces des romans dans la ville. On prend alors l’escalier de la Duchesse Anne en se dirigeant vers le jardin public, celui qui devient l’escalier de la Reine dans Les Chouans. On se pose un instant au jardin public pour prendre le temps de découvrir le point de vue sur les alentours et les citations inscrites sur des panneaux en imaginant Victor Hugo se promenant avec Juliette Drouet, sa compagne et écrivaine native de Fougères.

FOCUS ⎟Juliette Drouet, la talentueuse compagne
C’est une œuvre indirecte que nous a léguée Juliette Drouet puisque c’est une de nos grandes épistolières. À travers les quelques 22000 lettres échangées avec son compagnon Victor Hugo, parmi toutes les autres, elle nous offre une œuvre romantique et personnelle à la forte puissance évocatrice. Au-delà de ses écrits, l’autrice aura également une grande influence sur l'œuvre de son compagnon Hugo, et plus particulièrement sur les romans Quatre-vingt Treize et Les Misérables. C’est également elle qui sauvera certains manuscrits et l’aidera à publier clandestinement alors qu’il doit s’exiler hors de France.
Juliette Drouet est née en 1806 à Fougères. Sa mère décède peu après sa naissance et elle est envoyée chez son oncle, à Paris, dès 1816. Après un passage au couvent, elle entame une relation amoureuse avec un sculpteur, duquel elle aura un enfant. Elle devient ensuite comédienne et rencontre Victor Hugo en 1833 alors qu’elle auditionne pour un rôle dans une de ses pièces de théâtre. Leur relation prendra tellement de place qu’elle abandonnera finalement sa carrière pour devenir sa maîtresse officielle (et affichée). Elle se soumettra à ses volontés et le suivra jusque dans ses exils, telle une vraie compagne : elle est celle qui prend soin de son œuvre. Ils n’habiteront jamais ensemble mais seront toujours voisins et elle lui restera fidèle jusqu’à ce que la mort l’emporte en 1883, deux ans avant son amant.
À Fougères, d’autant plus se sent-on, se veut-on breton qu’on a failli ne pas l’être. C’est un pays frontière, une marche longtemps disputée entre la Bretagne et la France.
On poursuit vers l’église Saint Léonard, que l’on retrouve aussi dans Les Chouans, et qui sait, peut-être peut-on monter jusqu’au clocher (ouvert en juillet et août) avant de poursuivre jusqu’au 10, place du général Lariboisière. C’est ici que Balzac séjourna pendant ses repérages d'écriture pour Les Chouans. Il eu même la folle idée, rapidement abandonnée de se présenter pour être député de la circonscription de Fougères ! L’hôtel Balzac continue de lui rendre hommage dans la rue qui porte son nom.
On retourne maintenant sur nos pas et après être passé devant le théâtre Victor Hugo, inauguré en 1886, on alterne entre la rue Nationale et la rue Chateaubriand sur les traces de François-René de Chateaubriand, écrivain incontournable du territoire. Il a séjourné plusieurs fois dans ces lieux, à domicile chez ses 3 sœurs. En suivant les plaques aux murs, vous pourrez retrouver Bénigne de Chateaubriant au 3, rue Lesueur, Julie de Châteaubriant au 32, rue Nationale et Marie-Anne de Chateaubriand au 18 rue de Chateaubriand. L’auteur mentionne rapidement ses séjours fougerais dans ses fameuses Mémoires d’Outre-Tombe.
Il est désormais temps d’avancer un peu dans le temps et l’espace pour changer de siècle. On se dirige alors vers le quartier Bonabry et la rue des Feuteries. Ce quartier était le lieu d’implantation des (nombreuses) usines de chaussures, une industrie qui a fait la réputation et le développement de Fougères jusqu’à tard dans le 20e siècle. Une filière prospère et foisonnante, dans la directe lignée de la fabrication des sabots qui se pratiquait dans la forêt de Fougères. Deux écrivains ont plus particulièrement témoigné de cette époque : Jean Guéhenno et Marie Nelet.

FOCUS ⎟Jean Guéhenno, l’enfant de Fougères
Jean Guéhenno est sans doute l’écrivain de Fougères par excellence : seul natif ayant aussi grandi et écrit sur sa ville, son œuvre est un témoignage personnel et littéraire de la vie locale ouvrière du début du XXe siècle. Au-delà de l’histoire particulière de Fougères, Guéhenno témoigne, depuis l’intérieur, de la vie du milieu ouvrier et des grandes luttes sociales de l’époque, entre grèves, solidarité, fierté et misère. Un témoignage rare grâce à une œuvre qui s’inspire directement de son vécu.
Jean Guéhenno est né en 1890 à Fougères dans le quartier de Bonabry. À 14 ans, alors que son père est gravement malade, il commence à travailler en tant qu’employé d’usine et prépare seul son baccalauréat en parallèle. Grâce à une bourse, il part étudier à Rennes puis à Paris jusqu’à l’école normale. Après la parenthèse de la première guerre mondiale, il mène en parallèle une carrière d’écrivain et de professeur dans de grands établissements. Il dirige les revues Europe puis Vendredi (un hebdomadaire au service du Front Populaire). Pendant l’Occupation, il participe à la résistance intellectuelle, refusant de publier et de se soumettre à la censure. Il sera également rétrogradé en tant que professeur. Après la Libération, il est brièvement chargé d’organiser la Direction de la Culture populaire et des Mouvements de Jeunesse où il met en place les projets de Maisons de la Culture avant de démissionner par manque d’autonomie. Il est alors nommé Inspecteur général de l’éducation nationale et voyage beaucoup. Toujours chroniqueur, il est élu à l’Académie Française en 1962, accueilli par François Mauriac (notre petit clin d'œil Genius loci). Il décède en 1978 et ses cendres sont dispersées au large des Sept-Îles.
On trouve la trace de Jean Guéhenno d’abord au-dessus du café qui fait l’angle de la rue Bonabry, en face de l’église. Un café qui a changé de nom et de propriétaire de nombreuses fois mais qui était déjà là du temps de Guéhenno. Cet écrivain autodidacte est un des rares à évoquer à travers son œuvre la vie ouvrière de l’intérieur, en s’inspirant de ses souvenirs. On peut arpenter la rue des Feuteries où il a habité avec ses parents à plusieurs endroits et au 12 rue de Bonabry on imagine l’usine de chaussures Tréhu, où l’auteur fut employé aux écritures dès ses 14 ans. C’est ici qu’il étudia seul pour passer le baccalauréat en candidat libre. L’usine fut ensuite transformée en cinéma avant de laisser place aux immeubles d’aujourd’hui.
Perpendiculaire à la rue Bonabry, on suit la rue Nélet, nommée en hommage à un couple : Eugène, magistrat et sa femme, Marie, qui fut philantrope et surtout… écrivaine sous pseudonyme. Son nom n’a été rajouté qu’en 2017 et son action reste controversée mais son œuvre nous ouvre les portes de ce Fougères ouvrier au tournant du 20e siècle. On n’oublie pas de jeter un œil à l’église Bonabry, cœur du quartier et élément central de ses romans, qui termine notre balade.

FOCUS ⎟Myriam Thélen, alias Marie Nélet, la philanthrope controversée
Marie Nélet a écrit et publié sous le pseudonyme de Myriam Thélen. Elle arrive à Fougères pour suivre son mari, nommé juge de paix. Elle écrira quatre romans, en co-écrira deux et publiera divers articles. Fervente catholique, conservatrice avec une vision philanthropique et sociale très religieuse, c’est un personnage controversé. Son roman Les aventures d’une bourgeoise à Paris sera publié en feuilleton dans le journal L’Action Française, journal d’extrême droite et son action auprès des jeunes filles sera dénoncée par Christophe Boltanski dans son roman La Cache (prix Fémina 2015). Il n’en reste pas moins que La Mésangère, son roman publié en 1909, prix Montyon de l’Académie Française, reste un des témoignages contemporains les plus documentés de la grève des chaussonniers de 1906-1907. Elle y décrit pour la première fois en France la réalité des ouvriers et les méthodes utilisées par les patrons, comme le violent lock-out (la fermeture de l’usine par l’employeur, refusant de fournir du travail pendant la grève).
Cet homme un ouvrier, en 1958, eut l’idée de mettre une semelle aux chaussons qui n’en avaient pas. Il fit fortune. On l’imita. Très vite, du chausson à semelle, on passa à la fabrication de la chaussure de cuir. Et aujourd’hui Fougères a doublé sa population ; de 9 000 habitants en 1862, elle est montée à 20 000, dont la moitié est occupée par cette industrie très prospère de la cordonnerie ; elle a un nom dans le commerce français, une trentaine de fabriques en activité, et son chiffre d’affaires, de ce chef seulement, s’élève au moins à 15 millions.
Pour prolonger la balade, nous vous invitons à partir à la recherche des citations littéraires implantées un peu partout dans la ville. Nous pourrions évidemment évoquer d'autres écrivains, tels Julien Gracq ou René Bazin, qui se sont notamment aventurés dans les pas de ceux que nous avons cités mais ce sera peut-être l'objet d'une autre balade...
Que vous vous promeniez avec nous en mots ou en pas, n’hésitez pas à nous dire ce que vous avez pensé de cette balade !
