“Printemps de la ruralité” : en toute saison nos campagnes chantent
Autrice : Amélie Blandeau Publié le : 27 février 2024 Lecture : 4 min
Quelques jours seulement après sa nomination, la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a voulu marquer ses priorités en annonçant une grande concertation nationale sous le titre de “Printemps de la ruralité”. Si la volonté du ministère d'œuvrer pour la culture en milieu rural (comme en zone urbaine prioritaire), n’est pas nouvelle, elle semble vouloir prendre une dimension nouvelle. Une dimension qui fait écho à notre philosophie : Chez Genius loci, nous choisissons d’envisager la culture en milieu rural au prisme de ses lieux.
Ville ou campagne : choisir c’est renoncer
Aujourd’hui, environ un tiers des Français vit en milieu rural. En France, plus qu’ailleurs, les territoires s’organisent en termes de rayonnement des capitales locales vers les territoires et l’emploi, en grande partie, se trouve dans les aires urbaines. On constate donc une dichotomie grandissante entre Français des champs et Français des villes. Aux citadins les magasins à foison, les réseaux routiers bien entretenus et transports en communs, les restaurants en tout genre et surtout : les théâtres, cinémas, musées et autres. Immanquablement, les éloignés des centres vivent sous le tropisme de la ville-capitale. Mais lorsque la distance devient un frein, les lumières de la ville s’éteignent. En campagne, il faut prendre en compte le temps de route, la recherche d’une place de parking et le coût que cela représente ; autant de freins qui éloignent les publics ruraux de la culture des villes. On est aussi moins au courant, moins touché par la communication des établissements culturels urbains.
A l’heure de la remise en question du “tout voiture”, il semble essentiel de s’interroger sur ce que les territoires ont à offrir à leurs habitants dans un rayon raisonnable accessible en mobilité douce, pour que la vie à la campagne ne soit plus un renoncement.
Vivre l’espace-temps
Chaque territoire local possède une identité propre, une singularité que l’on a tendance à oublier à l’époque du monde numérique globalisé. D’ailleurs, on a férocement envie de dire “Printemps des ruralités” plutôt que de regrouper toutes les réalités de nos campagnes en un singulier qui ne rend pas hommage à la variété des paysages français. Les richesses des ruralités sont là, partout, à chaque coin de ruelle, à chaque méandre de rivière. Les campagnes portent l’histoire d’une terre et en conservent les témoignages. Elles ont, en soi, de grandes ressources culturelles à offrir à leurs habitants.
On entend parfois dire que la vie à la campagne “C’est mort !”. Et pourtant ! Quelle vie dans nos campagnes ! C’est en milieu rural mieux que nulle part ailleurs qu’on capte réellement ce qu’est la “vie” dans son essence. En campagne plus qu’en ville, on vit le passage du temps ; plus qu’en ville, on peut observer son cadre de vie évoluer, s’adapter au fil des saisons. D’ailleurs, historiquement, l’année en campagne était rythmée de fêtes de villages et de grands rendez-vous qui marquaient le passage des saisons. Ce n’est pas un hasard si depuis le début des années 1990, le ministère de l’Agriculture tient une place insoupçonnée dans le développement culturel en milieu rural. Il vient là combler un vide laissé par le Ministère de la culture qui, avec son tout petit budget général (0,6 % du budget de l’état en 2023), choisit de favoriser les grands équipements nationaux. C’est là l’un des enjeux de la consultation de ce printemps 2024 : questionner l’implantation des équipements culturels loin des villes. D’ailleurs, les Rencontres nationales “Culture et ruralités” qui ont eu lieu en juin 2018, avaient déjà souligné le succès des lieux multi-services, tout à la fois lieux de spectacles, guichet du quotidien, espaces de coworking.
En milieu rural, la culture autrement
Dans un article à propos, Claire Delfosse (Professeur de géographie Lyon 2 – Directrice du laboratoire d’études rurales) démontre qu’en milieu rural il est question de “foisonnement” plutôt que de “désert culturel”. Les contraintes liées au milieu (faible densité, faiblesse des équipements culturels dédiés, manque de vision de politique culturelle…) sont le terreau d’une vie culturelle bien existante et plus qu’ailleurs liée au vivre-ensemble. Notamment, on peut souligner la force de l’itinérance dans ces territoires à travers par exemple les bibliobus ou les cinémas itinérants qui s’installent à travers champs à la belle saison. Claire Delfosse ajoute que les artistes trouvent dans les lieux culturels en milieu rural “au-delà de l’inconfort, des formes de convivialité”. Car si les équipements culturels récents sont peu nombreux, là plus qu’ailleurs, on va chercher à inventer le possible : créer des formes adaptées en fonction des lieux disponibles et valoriser le potentiel existant tels que les extérieurs des lieux patrimoniaux, les cafés culturels, et autres tiers-lieux à vocation culturelle ou même agricole. En termes d’équipements, il est à noter le maillage extrêmement fort des réseaux de médiathèques soutenus par les départements. Ces médiathèques sont parfois les supports de ce que Claire Delfosse appelle les “multi-services ruraux” qui regroupent services, commerces et locaux associatifs. De plus, on remarque un tissu associatif particulièrement prégnant en milieu rural, ainsi qu’une vivacité des pratiques amateurs qui participent d’un dynamisme insoupçonné.
En ce qui concerne le patrimoine, le mouvement de valorisation du bâti remonte aux années 60 et s’accompagne d’une valorisation des “savoirs-faire” qui induit une “collecte” des éléments de patrimoine matériel et immatériel et découle parfois sur des actions de création. Ces éléments de patrimoine servent ainsi le socle d’une vie culturelle propre et productrice de lien social. On détecte là l’une des pierres angulaires du positionnement de l’agence Genius loci : partir de l’existant sur le territoire pour créer de nouveaux projets qui s’ancrent dans l’espace et susciter des synergies autour des lieux des ruralités. Rachida Dati plaide pour une “une culture vivante, qui dialogue avec le patrimoine” et c’est là un vœu que nous partageons pour tous les lieux, de patrimoine bâti, naturel ou vernaculaire.
De l’importance des instances publiques en matière de culture
Ce Printemps de la Ruralité annoncé par la ministre est en fait un écho au plan “France ruralités” lancé par Elisabeth Borne au mois de juin 2023 et intervient dans la lignée des Rencontres nationales “Culture et ruralité” qui se sont tenues le 29 juin 2018. Dans le cadre de ce Printemps de la ruralité, le communiqué du ministère mentionne bien la richesse patrimoniale des zones rurales et appelle à les mettre en lumière.
Jusqu’ici la politique culturelle en milieu rural était très axée sur l’éducation artistique et culturelle, la construction d’équipements de type médiathèques et l’action délocalisée des équipements urbains. Or, il semblerait pertinent de renforcer la mise en place de projets s'appuyant sur les richesses du territoire. C’est, du reste, l’un des leviers repéré par le laboratoire d’études rurales dirigé par Claire Delfosse. L’équipe de recherche souligne également l’importance de la volonté des élus locaux qui voient dans la culture un formidable levier de développement territorial. D’ailleurs, les lignes de budget liées au développement local sont très importantes pour le financement de la culture en zone rurale. On le voit avec l’utilisation des fonds LEADER de l’Union européenne, qui bien qu’ils soient dédiés au “développement” des zones rurales, sont très souvent dirigés vers des projets culturels.
Malgré le foisonnement, un besoin en ingénierie culturelle
Toute initiative mérite attention et il est à espérer que ce Printemps de la ruralité sera le marqueur d’une implication pérenne du ministère de la Culture pour la culture en milieu rural. Dans l’interview accordée à France Culture par Claire Delfosse, celle-ci insiste sur la richesse culturelle des milieux ruraux, tout en pointant le vrai manque en la matière : celui de l’ingénierie culturelle. Les volontés et les budgets ne font pas tout, encore faut-il trouver les compétences ad hoc afin de voir éclore les projets les plus bénéfiques aux territoires. C’est sur ce créneau que nous intervenons en tant que professionnelles de l’ingénierie culturelle. Nous choisissons de proposer nos compétences aux acteurs ruraux et nous plaidons pour connecter, reconnecter les habitants à leurs lieux de vie spatio-temporels. Les territoires ruraux méritent de vibrer de leurs richesses existantes et Genius loci compte bien prendre part à cet élan.
Sources
- Le communiqué de presse du Ministère de la Culture
- Article du Ministère de la Culture : Ruralités : l’enjeu culturel dans les territoires
- DELFOSSE, Claire, POUR 2015/2 N°226 Patrimoine-culture en milieu rural : désert culturel ou foisonnement ?
- Interview de Claire Delfosse sur France Culture, mai 2023 : La ruralité est-elle un désert culturel ?