Le tourisme littéraire transcende le diptyque lecture-écriture
Autrice : Célia Boucheraux Publié le : 20 décembre 2023 Lecture : 5 min
Parmi les lubies de l’agence, il y a le tourisme littéraire. Petite introduction à cette lubie tout à fait sérieuse qui nous passionne et nous inspire.
Qu’est-ce que le tourisme littéraire ?
Avez-vous déjà entendu parler de tourisme littéraire ? Est-ce que cela vous évoque quelque chose ? Si oui, il y a de grandes chances pour que vous ayez un intérêt prononcé pour la littérature. Si non, pas de panique, il s’agit d’un terme plutôt utilisé par des professionnels. En effet, il fait référence à ce qu’on pourrait considérer comme une branche du tourisme culturel, qui est l’ambition de découvrir ou de faire découvrir des lieux sous le prisme de la culture, soit l’“ensemble des aspects intellectuels, artistiques d'une civilisation”, selon la définition du Robert. Le Tourisme Littéraire est alors la découverte de lieux (au sens Genius loci du terme) par le biais de la littérature.
Plusieurs perspectives sont ainsi envisageables : il est possible de découvrir des lieux décrits dans des œuvres, de découvrir des paysages qui ont inspiré le décor d’une œuvre ou encore de retrouver des échos entre les thèmes d’une œuvre et un territoire. Il est aussi possible de cheminer à travers des lieux ayant une activité autour des livres (librairies, bibliothèques, cafés spécialisés, expositions, etc.). Mais l’emblème du tourisme littéraire est certainement la maison d’écrivain : une maison où un écrivain a vécu et qui est désormais ouverte au public. Il en existe partout dans le monde et des centaines en France, comme le domaine de Malagar, la maison de François Mauriac, où est née l’idée de Genius loci.
L’histoire du tourisme littéraire
Même si le terme n’est pas très répandu, le tourisme littéraire est au moins aussi vieux que le tourisme moderne. On pourrait même proposer que le tourisme littéraire a créé le tourisme moderne.
Au cours du 19e siècle, et dans le contexte de la révolution industrielle, le monde voit l'invention du tourisme moderne avec les premières excursions de Thomas Cook et la démocratisation du roman avec la publication en séries dans les journaux. C’est d’ailleurs cette montée en puissance des journaux qui va diffuser à cette époque l’idée de “grands romans nationaux”, cette volonté politique d’unifier des cultures, souvent régionales et parfois très différentes, sous l’égide des nations et des républiques naissantes, en utilisant la littérature comme vecteur de construction des imaginaires des territoires.
A la même époque, le journal, grâce à sa diffusion massive, permet de faire passer la mémoire collective de l’oralité à l’écrit, ce qui permet une diffusion et une transmission plus large et plus rapide de celle-ci. Pour alimenter cet essor, les journaux et romans vont alors pouvoir et vouloir aller chercher plus loin des histoires toujours plus exotiques et surprenantes, nourrissant chez les lecteurs une envie d’aller visiter ces espaces dont ils entendent parler, d’aller les expérimenter. Et découvrir ces lieux va générer une comparaison (volontaire ou non), ce qui implique autant la définition de soi et de l’autre que la confrontation. C’est d’ailleurs l’idée de base du Grand Tour, premier phénomène “de masse” du tourisme, qui connait son apogée au 18e siècle.
Comme un rite de passage à l’âge adulte, les jeunes hommes de familles riches vont partir à l’étranger pour visiter les foyers artistiques européens et s’inspirer des réalisations du passé glorieux afin de nourrir à leur tour cette lignée et affirmer cette supériorité d’un certain art. Parmi ces jeunes gens, se trouvent des écrivains, des scientifiques, des explorateurs, qui vont ensuite pouvoir diffuser et continuer d’inspirer tout un monde. Les écrivains en particulier vont s’emparer de ce phénomène et de ces nouvelles idées pour décrire l’étranger et écrire leur pays. En même temps, une diffusion plus large des œuvres grâce aux traductions (plus ou moins fiables à cette époque) renforce tout un imaginaire. Cet espace d’échanges touristiques et culturels va ensuite irriguer les territoires qui vont pouvoir l’utiliser à la fois pour dire leur pays (national ou identitaire) et pour définir l’étranger.
C’est à ce moment-là, alors que se développe la villégiature, que les personnes qui en ont les moyens vont commencer à chercher à retracer les pas des personnages qui les ont tant touchés et à découvrir par eux-mêmes les paysages décrits, peut-être même chercher à percer le mystère de l’écrivain.
Le tourisme littéraire à l’époque moderne
Plus récemment, avec le développement du tourisme de masse, le tourisme littéraire est devenu plutôt un tourisme de niche, réservé à une poignée d’amateurs de littérature et d'aficionados d’un écrivain ou d’une œuvre en particulier. Ce voyage s’apparente alors à une sorte de pèlerinage à la recherche des sources, des racines d’une œuvre d’art ou à une volonté d’approfondir des connaissances précises.
De nos jours, le tourisme littéraire revient sur le devant de la scène dans le cadre des nouveaux usages touristiques. Il est surtout utilisé dans un but de différenciation. L’apparition d’internet permet la personnalisation et continue donc de développer ce tourisme de niche mais plus globalement, le tourisme littéraire est finalement utilisé dans le cadre d’une valorisation différente des territoires. Il permet de raconter une histoire, “labellisée” par l’utilisation de la figure tutélaire de l’écrivain. A l’heure du storytelling absolu et du retour en force de l’objet livre (de TikTok à l’ouverture de nouvelles librairies), les histoires racontées par les écrivains sont à la fois gage de sérieux, de culture mais aussi de lien historique. On retrouve un mécanisme similaire à celui du 19e siècle, où la littérature est utilisée, non plus pour se définir, mais plutôt pour maintenir, faire vivre une identité et la promouvoir.
Mais quel est l’intérêt du tourisme littéraire finalement ?
Les mots. Le langage est une conceptualisation de notre pensée, de notre façon d’appréhender le monde et de communiquer notre expérience. Les mots permettent de créer et de recevoir un récit, et à ce jeu-là, les écrivains sont évidemment des pointures. Et ils participent à un imaginaire collectif d’autant plus fort qu’ils créent de la fiction qui fait écho à la réalité.
Chaque lieu, à différentes échelles, peut ainsi développer son récit et parfois, c’est la littérature qui accompagne la mise en tourisme d’une ville ou d’un lieu : c’est le cas de Montreux par exemple, ou bien Séville. Le tourisme étant finalement l'expérience d’un regard extérieur, et la littérature étant la création et le partage d’un monde et d’une histoire, il est assez aisé de voir en quoi les deux sont complémentaires.
On arrive alors au point de rencontre de l'expérience intellectuelle et physique. Le tourisme littéraire représente la réalisation d’un triangle entre la réception purement intellectuelle d’une œuvre écrite par un autre et l'expérience éminemment physique de chacun (nous n’avons qu’un corps limité). La réception de l’écrit est une co-création et rapprocher l’expérience physique des co-créateurs permet l’espoir de rapprocher les expériences intellectuelles.
Mais cette approche nous permet également d’interroger nos perceptions, nos manières de décrire nos environnements, de nous décrire, de nous définir, grâce à l’aide de supports déjà existants. Elle nous permet d’utiliser l’émotion de l'œuvre pour vivre l’expérience d’un lieu et de proposer un regard différent, peut-être plus universel en même temps que plus personnel, d’ouvrir un dialogue avec le lieu, un autre temps, une autre culture et d’autres mots.
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